Commissaire: Déborah Couette, Sophie Webel, Stanislas Ract-Madoux
Cette exposition est avant tout une expérience à partager autour de l’œuvre de Jean Dubuffet. Elle s’annonce comme un exercice périlleux et délicat car parfaitement subjectif. Bien entendu, le regard d’un commissaire d’exposition sur le travail d’un artiste est toujours subjectif, de par le choix qu’il fait des œuvres exposées, mais il se doit de garder une certaine distance, celle de l’historien de l’art. Or, ici rien de semblable.
Notre choix a été dicté par le désir d’aborder l’artiste autrement en sélectionnant des œuvres de périodes plus ou moins éloignées, présentant, à nos yeux, des correspondances. Ces dernières peuvent être une variation sur un thème, la similitude dans la composition ou la présence d’éléments annonçant la suite de l’œuvre. Exercice riche en surprises.
Notre regard a été l’un des principaux critères de sélection pour donner à voir ce jeu de va- et-vient dans l’œuvre de Jean Dubuffet. Certaines de ces associations ont trouvé après-coup un écho dans les écrits de l’artiste. Au philosophe Hubert Damisch, Jean Dubuffet faisait remarquer en 1962 : « les dessins des Terres radieuses se rapprochent-ils peut-être davantage des personnages des Légendes ou des sites urbains de Paris Circus que desMatériologies ou mêmes de tableaux de la série Sols et Terrains de 1951 et 19521. » (voir Nappe de deuil, 1952 et suite).
On sait combien Dubuffet aimait à exercer des allers-retours. Il a toujours revendiqué son besoin de revenir aux œuvres passées pour avancer dans son travail. « J’attends de cette Somme de bien repérer mon chemin pour la suite du voyage. [...] C’est par bordées que s’est toujours propulsée ma barquette et je sens une curiosité à survoler tout son sillage afin de bien voir où j’en suis2. » écrivit-il à propos de son catalogue raisonné. Ainsi, les vaches de 1944 reviennent-elles en 1954 ; les pisseurs de 1945 ou les façades d’immeubles de 1946 reprennent-ils vie avec Paris Circus en 1961... Vaches, pisseurs, rues et façades sont autant de sujets déjà abordés lors de nos récentes expositions thématiques3. D’autres sujets le sont moins et méritent un détour. Les personnages alignés en rang d’oignons (Le Bureau Veritas, 1979) ; ceux érigés verticalement comme des monolithes (Quatre personnages, 1961) ou la foule aux multiples visages (Affluence, 1961) se transformant en un ensemble de tracés plus ou moins distincts avec les Mondanités de 1975. Quant au « personnage au chapeau » que nous avons privilégié, Dubuffet le traite des années 1940 à la fin de L’Hourloupe (1974), lorsque l’homme du commun abandonne le port du chapeau pour se promener tête nue4. La « salle au chapeau » se présente comme une introduction ludique sur la variation autour du même sujet....